Dans une affaire récemment jugée par la 3ᵉ Chambre du Tribunal Judiciaire de Paris (TJ Paris, 3ᵉ ch., 3ᵉ sect., 18 juin 2025, n° 23/04395), le Tribunal a rendu une décision intéressante sur la détermination de l’élément distinctif dominant dans l’appréciation du risque de confusion entre deux marques.
1. Les faits
Le litige opposait la société MAN Brand GmbH & Co. KG, titulaire des célèbres marques MAN utilisées pour des camions et leurs pièces détachées, à la société française MAN PARTS, qui avait déposé une marque française semi-figurative « MAN PARTS » en classes 4, 12 et 45. Suite à des décisions d’opposition devant l’INPI, la protection de cette marque avait été limitée aux seuls services de la classe 45.
Le conflit portait donc essentiellement sur les signes suivants :
- Les marques antérieures : « MAN » et « MAN GENUINE PARTS »
- La marque contestée : une marque semi-figurative « MAN PARTS »
2. L’analyse du Tribunal
De manière notable, le Tribunal n’était pas saisi de la renommée des marques MAN, bien que la demanderesse ait évoqué cet aspect dans ses écritures. La décision s’est donc concentrée sur la comparaison des signes, sans prendre en compte la protection élargie des marques renommées.
2.1 Similitude entre « MAN » et « MAN PARTS »
Le Tribunal conclut à une similitude globale entre les signes, considérant que le terme « MAN » est l’élément distinctif dominant et qu’il occupe une position d’attaque dans les deux marques. Selon le Tribunal, cette position est de nature à retenir l’attention du consommateur.
2.2 Similitude entre « MAN GENUINE PARTS » et « MAN PARTS »
Le Tribunal applique le même raisonnement, en soulignant que :
- Le terme « MAN » demeure l’élément distinctif dominant.
- Le terme « PARTS » n’est pas perçu comme une simple description des pièces détachées par le consommateur moyen.
Le Tribunal conclut donc à la proximité visuelle, phonétique et conceptuelle des signes.
2.3 Prise en compte de l’élément figuratif
La société MAN PARTS faisait valoir que sa marque comportait un élément figuratif distinctif (un logo représentant une bougie de moteur), qui aurait dû être pris en compte pour écarter le risque de confusion.
Le Tribunal écarte cet argument en considérant que :
- L’élément figuratif représentant une bougie de moteur est descriptif des produits et services concernés.
- Sa faible visibilité (position en arrière-plan et couleur vert pâle) en fait un élément accessoire, dénué de pouvoir distinctif.
- Sur le plan conceptuel, cet élément rapproche encore davantage le signe semi-figuratif des marques antérieures, car il renforce l’évocation des pièces détachées automobiles.
3. La décision
Le Tribunal condamne la société MAN PARTS pour contrefaçon des marques MAN et ordonne la radiation de la dénomination litigieuse.
Appréciation critique
La décision est juridiquement cohérente et illustre bien la force des éléments verbaux dominants dans l’appréciation des risques de confusion, surtout lorsqu’ils occupent une position d’attaque.
Il est également justifié de considérer qu’un logo descriptif et visuellement secondaire ne peut pas, à lui seul, suffire à différencier des signes similaires.
Cependant, cette solution soulève quelques questions :
- Le Tribunal n’a pas approfondi la perception du consommateur moyen face à l’élément figuratif. Si la bougie de moteur n’est pas immédiatement identifiable par tous les consommateurs, le caractère prétendument descriptif aurait pu être discuté plus finement.
- En l’absence du logo, un débat plus subtil aurait pu s’engager sur la comparaison des marques purement verbales « MAN », « MAN GENUINE PARTS » et « MAN PARTS », notamment sur la pertinence de considérer « PARTS » comme secondaire.
Enfin, on peut noter que la présence de ce logo descriptif a privé la société MAN PARTS de la possibilité d’exploiter l’éventuelle évocation humoristique de l’expression « MAN PARTS » en anglais (qui peut renvoyer aux parties du corps masculin), piste qui aurait pu être un levier stratégique original pour tenter d’échapper à la confusion.
Conclusion
Ce jugement rappelle l’importance de :
- Bien vérifier la valeur ajoutée d’un élément figuratif dans une marque semi-figurative.
- Éviter les logos purement descriptifs lorsque l’on cherche à se démarquer.
- Anticiper que dans l’appréciation globale, l’élément verbal reste souvent prépondérant.