La Chambre des Recours de l’EUIPO a rendu une décision le 10 janvier 2023 dans une affaire assez insolite, mais qui a permis à la Chambre des Recours de bien préciser les conditions de protection d’une marque antérieure jouissant d’une forte renommée conformément aux dispositions de l’article 8(5) du Règlement sur la Marque de l’Union Européenne.
Lien vers la décision sur le site de l’EUIPO. (Décision de la 4ème chambre de recours du 10 janvier 2023 affaire R442/2022-4)
Le côté anecdotique de cette décision tient certainement aux produits comparés dans le cadre de la procédure d’opposition puis d’appel.
La similitude des signes ne semble pas poser de difficultés particulières, les marques figuratives en présence étaient les suivantes :
Tout le problème de cette affaire tient en la comparaison des produits désignés, puisque la marque antérieure désigne un grand nombre de produits allant des publications jusqu’aux jouets pour enfants, alors que la demande de marque contestée revendique quant à elle…les sex toys en classe 10.
L’opposante a donc tenté d’invoquer la protection étendue accordée à la marque de renommée en application de l’article 8(5) du Règlement UE sur les marques. Pour rappel, l’article 8(5) dispose : “Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice“.
Au titre de cet article, une marque bénéficiant d’une renommée dans l’UE ou dans l’état membre concerné s’il s’agît d’une marque nationale, peut être opposée avec succès à une marque identique ou similaire qui désignerait des produits ou services différents si et seulement si :
- il n’existe pas de “justes motifs” d’usage de cette marque nouvelle,
- ET
- la marque litigieuse tirerait dument avantage du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou lui porterait préjudice
Ainsi, selon l’opposante (titulaire de la marque antérieure) le seul moyen de s’opposer à la demande de marque litigieuse désignant des produits différents (sex toys) était de démontrer d’une part la renommée de sa marque et d’autre part, l’atteinte que porterait l’adoption et l’usage de la marque contestée à cette renommée.
En première instance, la division d’opposition de l’EUIPO avait considéré que l’opposante n’avait pas apporté la preuve de la notoriété de sa marque contrairement à la Chambre des Recours de l’EUIPO.
Devant la Chambre des Recours de l’EUIPO, le titulaire de la marque ancienne devait donc apporter la preuve de la notoriété de sa marque. Une marque bénéficie d’une notoriété forte quand la marque est « connue d’une partie significative du public concerné par les produits et services couverts par cette marque ».
Le titulaire avait donc soumis à la Chambre des Recours de l’EUIPO un très grand nombre de documents montrant la reconnaissance forte dont bénéficie la marque par un usage intensif et ancien. En l’occurrence il était démontré dans cette affaire que la silhouette du lapin en question bénéficiait d’une très forte renommée aux Pays-Bas (la marque opposée était une marque du Benelux) et que cette marque était apposée sur des produits très divers (publications pour enfants, alimentation pour enfants, jouet etc).
La Chambre des Recours a donc conclu au caractère notoire de cette marque au moins au Benelux pour des produits des classes 16 (publications) 25 (vêtements) et 28 (jouets).
Selon nous il ne fait pas débat que cette marque silhouette est bel et bien célèbre…mais nous considérons que cette célébrité n’équivaut pas forcément à une notoriété au sens du droit des marques, dans la mesure où cette reconnaissance dans la public n’est pas forcément liée au titulaire de marque…or une marque doit servir à identifier les produits et services d’une entreprise par rapport à ceux de ses concurrents. Il est donc certain que nous avons tous vu un jour dans notre vie ce dessin de lapin sur des produits…mais de là à en tirer une reconnaissance par rapport aux produits concurrents et un lien avec une entreprise… il y a un pas que nous ne franchirons pas. C’est en cela que cette décision peut être critiquable.
Pour le reste, il est intéressant de noter que la Chambre des Recours conclut à l’application des dispositions de l’article 8(5) du Règlement sur la marque de l’UE et considère donc que la protection de la marque antérieure peut être étendue à des produits différents de ceux qu’elle désigne.
Conclusion : une marque exploitée pour des sex toys porte atteinte à la renommée d’une marque célèbre pour des jouets pour enfants… a contrario une marque désignant des sex toys ne porte pas atteinte à une marque similaire pour désignant des jouets pour enfants qui ne serait pas célèbre. La marque antérieure a réussi à démontrer sa renommée, ce qui est un bon point pour son titulaire…mais nous pensons qu’il y avait d’autres moyens pour aboutir à la reconnaissance d’un risque de confusion entre les marques en cause.